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Monnaie : Le franc Cfa, trente ans après la dévaluation…

Rédigé par leral.net le Mardi 12 Mars 2024 à 20:36 | | 0 commentaire(s)|

La dévaluation du franc Cfa, en janvier 1994, reste gravée dans la mémoire des populations de l’Uemoa. Dans cet article, Dr Abdoulaye Traoré, économiste monétariste et membre du Laboratoire de recherches économiques et monétaires (Larem-Ucad) et Mohamed Dia, expert bancaire (ancien de JP Morgan), livrent leur analyse sur le bilan de cette mesure trente ans […]

La dévaluation du franc Cfa, en janvier 1994, reste gravée dans la mémoire des populations de l’Uemoa. Dans cet article, Dr. Abdoulaye Traoré, économiste monétariste et membre du Laboratoire de recherches économiques et monétaires (Larem-Ucad) et Mohamed Dia, expert bancaire (ancien de JP Morgan), livrent leur analyse sur le bilan de cette mesure, trente ans après. 

Par Seydou KA 

Le 11 janvier 1994, sous la pression de la France et du Fmi, les dirigeants des pays de la Zone franc annoncent la dévaluation de 50% du franc Cfa (100 francs Cfa = 1 franc français) et de 25% du franc comorien. Destinée à assainir l’économie et à relancer la croissance dans les pays concernés, cette décision a été rendue nécessaire par l’absence de politique d’ajustement interne de ceux-ci, à la suite de la crise causée par l’effondrement des cours des matières premières, à partir des années 1980, rappelle Dr Abdoulaye Traoré, économiste monétariste, enseignant chercheur et membre du Laboratoire de recherches économiques et monétaires (Larem-Ucad). De son côté, Mohamed Dia, expert bancaire et ancien de JP Morgan (il est installé aux États-Unis), souligne qu’avant cette mesure extrême, plusieurs ajustements structurels ont été expérimentés pour essayer d’éviter l’inévitable, mais en vain. Sur les causes de la dévaluation, M. Dia relève que la crise des années 80 a fait souffrir tous les pays membres de la Zone franc, car le secteur pétrolier représentait plus de la moitié de leurs exportations. « Cela a affecté les économies de ces pays et causera éventuellement la dévaluation, dit-il. Après la dévaluation en 1994, il y a eu une forte accélération des réserves et les exportations des biens sont devenues moins chères. Avant, les comptes étaient déficitaires, et à partir de 1997, soit trois ans après la dévaluation, les balances deviennent excédentaires ».

Si les populations des pays membres de l’Uemoa gardent un souvenir douloureux de cet épisode, ce n’était pas la première dévaluation du franc Cfa. Il faut rappeler que le franc Cfa est le nom des monnaies communes utilisées par quatorze États africains appartenant à la Zone franc : le « franc de la Communauté Financière africaine » en Afrique de l’Ouest et le « franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale » en Afrique centrale. À l’origine de sa création en 1945, sous la dénomination de « franc des Colonies françaises d’Afrique », rappelle Dr Traoré, 1 franc Cfa valait 1,70 franc français. Cet écart en faveur des pays africains, précise-t-il, s’expliquait par le déficit des finances publiques françaises au sortir de la guerre. En 1948, sa valeur est portée à 2 francs français. Le franc Cfa devient le « franc de la Communauté Française d’Afrique » en 1958. Ainsi, jusqu’à la fin des années cinquante, le franc Cfa reste plus fort que les anciens francs. Avec l’instauration du « nouveau franc français » le 1er janvier 1960, une nouvelle parité s’établit avec 1 franc français = 50 franc Cfa.

Des effets positifs et négatifs 

Selon Dr Abdoulaye Traoré, de la dévaluation du franc Cfa de 1994, il a résulté des effets positifs et négatifs dans les pays concernés. Parmi les effets positifs, il note une relance des productions locales, notamment le cacao et le café en Côte d’Ivoire.  « Jusqu’en 2021, seule la Côte d’Ivoire a pu dégager des excédents commerciaux », précise-t-il. L’autre effet positif noté, c’est l’amélioration significative des avoirs extérieurs nets dans l’Union. Cette évolution est imputable aux entrées de capitaux sous forme d’emprunts privés ou publics (comme les émissions importantes d’eurobonds réalisées par les pays ou l’allocation de droits de tirages spéciaux aux profits des États membres). Ce qui n’est pas sans conséquences. Ainsi, s’il y avait une nouvelle dévaluation du franc Cfa aujourd’hui, le Sénégal et la Côte d’Ivoire, qui ont ces dernières années augmenté leur dette en devise, notamment en lançant des eurobonds, verraient les charges de leur dette augmenter considérablement. Autrement dit, si le franc Cfa perdait 50% de sa valeur, comme en 1994, la dette en devise convertie en franc Cfa augmenterait du même montant. Toutefois, rassure Dr Traoré, un tel scénario n’est pas envisageable au regard du volume important de réserves qui permettaient à l’Union d’assurer la couverture de 6,0 mois d’importation de biens et services en 2022 et 6,2 mois en 2023. En 1994, le taux d’endettement des pays membres de l’Uemoa était de près de 109 % et après la dévaluation du FCfa, ce taux est descendu à 88 % du Pib, constate Mohamed Dia.

Parmi les effets négatifs, il y a une baisse du pouvoir d’achat des citadins africains, habitués à consommer des produits d’importation, ce qui rendait les industries locales moins compétitives. « Les industries locales sont confortées par le prix plus élevé des produits importés. La concurrence extérieure est moins forte et cela peut rendre ces industries moins productives et moins efficaces à moyen terme », analyse Dr Traoré.

Compétitivité ? 

L’une des raisons avancées par les autorités au moment de la dévaluation du franc Cfa en janvier 1994 était de permettre aux pays membres de retrouver de la compétitivité. Si l’on observe la situation sur la durée, souligne Dr Traoré, seule la Côte d’Ivoire fait bonne figure au regard des excédents commerciaux qu’elle dégage depuis la dévaluation, contrairement au reste des pays qui s’illustrent par des déficits commerciaux chroniques. « L’Uemoa, dans son ensemble, fait face à des défis en termes de diversification de produits. La dépendance à un nombre limité de produits d’exportation expose les économies, en les rendant plus vulnérables aux fluctuations des prix mondiaux et aux chocs externes. Les économies sont également pénalisées par l’absence de diversification des marchés au regard de la pertinence des positions géographiques commerciales. On peut se demander si les pays sont assez actifs sur les zones les plus dynamiques », s’interroge l’économiste. Ainsi, sur le plan micro-économique, suggère Dr Traoré, les entreprises doivent manifester une agressivité commerciale suffisamment forte à l’exportation, disposer d’une taille critique et de soutiens institutionnels. Sur le plan macroéconomique, les politiques industrielles et commerciales, les politiques en faveur de l’éducation et de la recherche « ont un rôle important à jouer ».

Une monnaie stable 

L’autre question qui polarise le débat sur le franc Cfa concerne l’arrimage à l’euro. Si cette parité est très souvent décriée par certains économistes et militants panafricanistes, pour d’autres, elle offre un certain nombre d’avantages. « Le franc Cfa est une monnaie stable, et la plupart des pays membre maîtrisent l’inflation pendant que les pays non-membres se battent contre une inflation croissante. C’est le cas du Nigeria et du Ghana. Il facilite les échanges entre les pays membres, et son lien avec l’euro lui donne une crédibilité internationale, ce qui rassure les investisseurs », explique Mohamed Dia. Cependant, cette parité n’est pas exempte de « dangers », souligne-t-il. « Pour l’instant, cela ne nous impacte que sur la surévaluation monétaire à laquelle nous faisons face, mais le danger se trouve dans le taux de change des autres monnaies sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle », dit-il. Ainsi, dans le cas de figure d’un dollar plus fort que l’euro (comme c’est le cas actuellement), la dette des pays de l’Uemoa augmente automatiquement sans aucun emprunt supplémentaire. À titre illustratif, si 1 dollar = 1 euro, 200 milliards de dollars de dette équivaudrait à 200 milliards d’euros (pas de risque de change). Mais si jamais 1 dollar = 1,25 euros, la dette passerait de 200 milliards à 250 milliards. « Nous ne contrôlons donc pas cette dette », di Mohamed Dia. Il faut dire que l’autre cas de figure (un euro plus fort que le dollar) a longtemps prévalu avant la guerre en Ukraine.

Pour Dr Abdoulaye Traoré, bien que l’arrimage à l’euro puisse offrir certains avantages aux pays de la zone Cfa, comme une plus grande stabilité des taux de change, une facilité dans les échanges commerciaux avec les pays de la zone euro, en plus d’un renforcement de la confiance des investisseurs étrangers, il comporte également « des inconvénients importants en termes de compétitivité, de perte de souveraineté monétaire, de manque de flexibilité économique et de dépendance vis-à-vis de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (Bce) ».

Au lieu de sortir du franc Cfa, comme le préconisent certains, Mohamed Dia suggère une réforme de la parité avec l’euro. « Il faut plus de flexibilité dans la politique monétaire et nous pouvons négocier cela avec la France en attendant que nous soyons prêts pour notre propre monnaie ou une monnaie commune. Le dénominateur commun des pays de la Zone est la monnaie, donc il est primordial de ne la remplacer que par quelque chose de mieux », dit



Source : https://lesoleil.sn/monnaie-franc-cfa-trente-ans-a...